I’m Still Here

22 juillet 2011, par Bobi Laisser un commentaire »

Réalisateur Casey Affleck

Date de sortie 13.07.2011

Durée 1h48

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07/20

par Bobi

Il y a une dizaine de jours est sorti au cinéma un film-buzz qui depuis divise la presse spécialisée. Certains ont apparemment adoré (Les Cahiers, Chronicart ou Libération par exemple) tandis que d’autres à l’opposé portaient un jugement plutôt sévère sur le film (Le Monde ou Les Inrocks pour ne citer qu’eux). Ce clivage n’est en fait pas étonnant tant l’œuvre elle-même semble clivée en son sein. I’m Still Here, de par son projet bancal, sa communication indécise, son statut de faux/vrai docu, et son traitement des réactions publiques et privées, présente une béance inquiétante dans laquelle il est facile de se perdre, que l’on en soit le spectateur, le critique… ou bien l’auteur.

Si l’on en croit Casey Affleck et Joaquin Phoenix, l’idée de départ était de dénoncer un certain fonctionnement d’Hollywood, industrie qui semble se targuer d’une grande ouverture d’esprit mais dans laquelle un acteur ne peut survivre qu’en collant à l’image que le sérail lui a construit. Si par malheur vous vous en écartez, vous devenez suspect. Joaquin Phoenix s’en serait sciemment écarté, lui, pour que Casey Affleck puisse mettre en scène le regard emprisonnant porté sur l’acteur par la machinerie hollywoodienne. Le film ainsi produit en serait le témoignage final, tout en agrégation chronologique de moments de vie publique / privée qui retraceraient des mois de descente aux enfers d’un acteur qui jusque là était reconnu et starifié par le milieu et le public. Pour parvenir à susciter ce regard condescendant et sans concession du milieu, le secret s’avère alors absolument indispensable. Les inconnus, les connaissances comme les proches doivent être convaincus que J.P. est effectivement en train de sombrer dans le n’importe quoi. Pour y parvenir, les deux auteurs d’I’m Still Here en seraient donc venus à mentir à tout le monde dans l’espoir d’atteindre leur objectif.

Mais cela en valait-il vraiment la peine ? Si l’on en juge au résultat, il paraît difficile de leur donner raison. Il n’est pas question de cinéma dans cette œuvre, mais plutôt d’un happening étrange qui prendrait en otage non pas seulement le spectateur, mais aussi l’ensemble des acteurs malgré eux : le public, les connaissances du milieu et les proches. Du point de vue du public anonyme, l’apport est faible car le film non seulement ne fait que dénoncer quelque chose qui n’est pas un scoop (on s’en doutait quand même que ça se passait comme ça là-haut sur la montagne) et qui en plus n’est pas propre à Hollywood (tous les milieux professionnels, artistiques ou non, produisent des regards de conformité avec lesquels tout le monde négocie). Pour les gens du milieu, pas sûr que ça change quoi que ce soit tant le propos n’ouvre à aucun dialogue. Il suffit de voir combien Ben Stiller, lors de la remise des Oscars 2010, se moque sans pitié de J.P. en l’imitant, et de sentir en même temps qu’on ne peut pas trop lui donner tort dès lors qu’on se rappelle comment Phoenix l’avait reçu quelques mois plus tôt et s’était comporté odieusement envers lui. Enfin, concernant les proches, que penser ? Certes les moments les plus forts du film sont ceux où, à force d’être provoqués et maltraités, des compagnons de route comme Antony Langdon laissent apparaître leur incompréhension et leur blessure (cf. ce très marquant long regard caméra d’Antony juste après que Joaquin le laissant seul avec Affleck lui a dit qu’il ne voulait plus le voir). Mais ces moments de grâce sadique sont finalement trop rares pour donner du sens à la démarche consistant à faire souffrir ceux qu’on aime pour satisfaire un souci jusqu’au-boutiste de vraisemblance. D’autant qu’un vrai travail de durée manque au montage pour que ces moments prennent une dimension autre que celle d’être un simple artefact produit par le dispositif de mise en scène.

A voir cet I’m Still Here clivé et à la recherche de sa forme intenable, à le voir en connaissance du dispositif qu’il a fallu pour le produire, à le voir ne produire qu’incompréhension et médiocrité de le part de ceux qui ne partagent pas le secret des dieux, un sentiment de béance inutile s’impose et que trop peu de ponts dans le film viennent combler. Joaquin Phoenix et Casey Affleck ont, et se sont, donné bien du mal pour produire au final deux trois moments de grâce douloureuse et négative qui portent la marque d’un réflexe quelque peu adolescent : le réflexe de ceux qui ne parviennent pas à accepter les codes de leur milieu pour en jouer et les réinventer. C’est le réflexe de celui qui au lieu de s’adresser à l’intelligence des autres ne fait que postuler que personne ne peut répondre à sa détresse et préfère s’isoler. J. Phoenix et C. Affleck donnent avec ce happening l’impression d’être deux révoltés à Hollywood qui pour faire entendre leur mal-être ne trouvent rien de pire que de mettre tout le monde à distance et de s’enfermer dans le mutisme. Et ça, c’est vraiment triste.

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12/20

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